Quand je suis à l’étranger, je ne cesse de parler de ma région. Lorsque je veux impressionner mes interlocuteurs, je leur raconte notre hiver et, plus spécialement, la tradition de pêche blanche devenue incontournable au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Quand je leur décris de véritables villages qui s’installent sur les glaces en quelques jours, je sens leur regard s’allumer. Quand je leur parle des centaines de cabanes colorées qui s’alignent au long de rues glacées sur lesquelles circulent voitures et véhicules hors route, je vois leurs yeux s’arrondir. Quand j’aborde les températures sibériennes qu’affrontent les pêcheurs qui sortent au large et le confort douillet qui les attend entre les murs de leur cabane, ça les amuse à tout coup. Puis, quand j’explique que toutes ces installations hivernales sont posées sur un plancher d’un mètre de banquise qui se soulève et s’abaisse de plusieurs mètres deux fois par jour, là… Je les sens incrédules !
Une pêche unique
La pêche blanche pratiquée sur les glaces du Saguenay diffère beaucoup de ce que l’on retrouve dans les autres régions du Québec, parce que nous sommes sur un fjord, en milieu marin. Ce qui implique la présence d’eau saumâtre (salée), de marées importantes et de nombreuses espèces de poissons qu’on retrouve en eau douce ainsi qu’en mer. On a dénombré une soixantaine variétés de poissons dans le fjord du Saguenay mais ceux qui mordent le plus souvent restent l’éperlan, le sébaste, le turbo ou flétan du Groënland et la morue arctique.
Une pêche festive
Que ce soit sur la Baie des Ha ! Ha !, à Sainte-Rose-du-Nord, Rivière-Éternité ou L’Anse-Saint-Jean, la pêche se déroule toujours comme une fête au sein de milieux naturels spectaculaires, tous très différents les uns des autres. Dans l’arrondissement de La Baie, là où l’on observe la principale concentration de pêcheurs, on trouve deux villages distincts : celui de Grande-Baie et le village de l’Anse-à-Benjamin. Des centaines de cabanes s’y alignent au bord des avenues glacées, de l’abri précaire au petit palace nordique. Par temps très froid, la fumée des poêles se fige littéralement dans le bleu intense du ciel alors que d’immenses vraquiers naviguent lentement dans le chenal que le brise-glace entretient tout l’hiver. Au fond d’un décor de montagnes, la réalité industrielle de la ville offre un contraste frappant. Sur les glaces circulent voitures, camions, motoneiges et VTT. On distingue même plusieurs skieurs tractés par des voiles qui s’agitent sous le vent et des cyclistes déterminés sur leur « fatbikes ».
Le soir venu, il faut voir du haut du Mont-Bélu ce chapelet de lumière qui s’illumine au milieu de la baie figée. Prétextant toujours la quête du poisson, l’action se poursuit jusqu’aux petites heures et certains s’installent même confortablement pour passer la nuit dans leur maisonnette devenue un second foyer saisonnier.
Ça mord ?
Marcel Lachance, un connaisseur, affirme que: « Ça mord toujours beaucoup en début de saison, quand on installe les cabanes, puis il y a toujours une baisse par la suite ». D’autres font intervenir de savants facteurs comme les marées, la lune, le bruit sur la glace, la profondeur et puis quoi ? Il y en a qui ne prennent vrai¬ment pas de chance et qui ont toujours leur sonar à l’œil. La pêche miraculeuse reste totalement imprévisible, mais de toute façon, des quotas sévères sont imposés pour protéger la ressource en limitant les prises. Toutefois, la situation du sébaste, qui constitue 76 % des prises, est à ce point favorable que Pêche et Océan Canada a décidé de prolonger la saison d’une semaine cette année, jusqu’au 10 mars.
Une fête !
De toute façon, la pêche blanche c’est, d’abord et avant tout, un contact privilégié avec l’hiver et les paysages éblouissants du Saguenay. L’immensité de la Baie des Ha! Ha! Les murailles de glace dressées par les marées à Sainte-Rose-du-Nord. Les plaisirs de la villégiature à L’Anse-Saint-Jean ou l’écrasant cap Trinité, à Rivière-Éternité, qui, du haut de ses 411 mètres, surplombe des abysses prisonniers des glaces.
C’est aussi le plaisir de marcher sur les vagues de neige durcie que le vent sculpte par dessus le couvert de glace, de faire de la raquette et du ski de fond. C’est la joie des enfants dont les yeux deviennent aussi exorbités que ceux des sébastes lorsqu’ils prennent un poisson. Ou leur curiosité au-dessus du poêlon dans lequel grillent quelques éperlans enfarinés qui se recroquevillent à la cuisson.
La pêche blanche sur le fjord permet également de rencontrer les Saguenéens au naturel et de les entendre raconter leurs histoires qui ne pêchent jamais par modestie. Vous croiserez peut-être Jean-Paul Desbiens sur les glaces ? Ce passionné a attendu 150 heures à l’extérieur et dans son auto pour être le premier à réserver un emplacement pour sa cabane sur la banquise.
Au Lac-Saint-Jean
Le Lac-Saint-Jean n’est pas en reste en ce qui a trait à la pêche blanche puisqu’il est aussi possible de taquiner le doré, la perchaude et le brochet au large de Roberval ou de vivre une expérience guidée avec transport à motoneige et assistance d’un professionnel.
Dans tous les cas, les visiteurs peuvent louer une cabane et tout l’équipement indispensable chez des pourvoyeurs expérimentés. La pêche se pratique à l’intérieur de la cabane qui est fort bien chauffée et à l’extérieur aussi. Autour des principaux sites de la région, on trouve toujours un hébergement de qualité à proximité, de bonnes tables et on se voit offrir la possibilité de pratiquer plusieurs autres activités de plein air en complément de programme.